Article écrit par Thierry Blain, Fondateur et dirigeant de Kiné-Formations.

Dans nos cabinets, certaines douleurs semblent ne pas suivre les règles habituelles : elles persistent malgré une bonne prise en charge mécanique. Derrière ces douleurs parfois diffuses ou inflammatoires, l’hyperglycémie peut jouer un rôle déterminant.
Le sucre rigidifie le corps
Lorsque le taux de glucose reste élevé trop longtemps, le sucre se fixe sur les protéines, les lipides et le collagène.

Ce phénomène de glycation produit des molécules rigides appelées produits de glycation avancée (AGEs). Ces AGEs s’accumulent dans les tendons, les capsules, les muscles, où ils altèrent la souplesse des tissus et stimulent les récepteurs de l’inflammation (RAGE). Résultat : production de cytokines (IL-6, TNF-α, IL-1β) et inflammation de bas grade chronique
Du métabolisme à la douleur
Le muscle est un organe-clé du métabolisme du glucose. En cas de résistance à l’insuline, il capte mal le sucre et produit plus de radicaux libres. Ces espèces réactives de l’oxygène (ROS) abîment les mitochondries et activent les voies de l’inflammation (NF-κB, MAPK). Les nocicepteurs deviennent plus sensibles : le moindre effort ou étirement peut réveiller une douleur sourde. L’hyperglycémie perturbe aussi la micro-circulation nerveuse, créant une hyperexcitabilité des nerfs périphériques. Même sans neuropathie avérée, les fibres sensitives deviennent plus réactives : la douleur est amplifiée.
Un terrain inflammatoire global
L’hyperglycémie chronique maintient une inflammation systémique de bas grade. Les cytokines circulantes sensibilisent le système nerveux central, ce qui augmente la perception de la douleur, un peu comme si le “volume sonore” du corps était monté d’un cran.
Cette sensibilisation centrale explique pourquoi certaines douleurs musculo-squelettiques semblent disproportionnéespar rapport à la lésion observée.
Le cercle vicieux de la glycation
Les AGEs favorisent la production de stress oxydatif, qui à son tour accélère la glycation. Ce cercle vicieux altère les membranes, réduit la perfusion tissulaire et entretient la raideur. Des études récentes (Front Endocrinol, 2024 ; Scientific Reports, 2024) montrent que plus la glycémie est élevée et ancienne, plus la douleur et la raideur musculo-squelettique sont marquées.
Pour les kinésithérapeutes
Même sans diabète déclaré, un patient présentant une résistance à l’insuline, une fatigue chronique ou un surpoids peut manifester ces altérations tissulaires.
Comprendre le lien entre métabolisme et douleur change notre regard clinique : La raideur matinale ou la lenteur de récupération ne sont pas toujours mécaniques. Une douleur diffuse peut traduire une inflammation métabolique silencieuse.
L’hyperglycémie agit comme une inflammation invisible.
Elle durcit le collagène, altère les muscles, sensibilise les nerfs et rend la douleur plus tenace.
Pour le kinésithérapeute, intégrer cette dimension métabolique, c’est reconnaître que la douleur est aussi un signal du déséquilibre intérieur.
Observer, écouter, sentir : les trois portes du corps donnent souvent accès au même message — celui d’un organisme qui demande à retrouver son rythme glycémique naturel.
Résumé et analyse en podcast audio…
…et vidéo.
Références récentes
Singh N. et al., Front Endocrinol, 2024.
Yang C. et al., iScience, 2024.
Horton R.C., Phys Ther Sci, 2023.
Zhou J. et al., Front Pain Res, 2023.
Scientific Reports, 2024.