Par Elsa JOUENNE
Il semblerait que de nos jours, tout le monde ait un avis sur le gluten. Poison moderne, à supprimer de toutes les assiettes, ou « mode de bobo » sans queue ni tête, avec quelques nuances entre les deux. Il y a probablement aussi pas mal de gens qui se posent encore des questions, pour eux-mêmes ou pour leurs enfants.
Qu’est-ce que le gluten ?
C’est une substance présente dans les céréales.
Elle est composée de 2 types de protéines : les prolamines et les glutélines. Chaque plante contient son propre gluten : par exemple le blé contient de la gliadine et de la gluténine. Si les noms des molécules sont si proches, c’est qu’ils proviennent de la racine « glu », ce qui en dit long sur son action : Elles collent la matière première. C’est ce qui permet à la farine de blé de composer du pain, de la brioche, des pâtes qui ne s ‘effritent pas.
Les humains consomment donc du gluten depuis l’avènement de l’agriculture. Alors comment expliquer soudain que tant de monde ne le supporte plus ? Que nous est-il arrivé ?
Effet de l’industrie.
Tout d’abord, c’est à notre agriculture qu’il est arrivé quelque-chose ! Car aujourd’hui, le blé ne pousse plus comme à l’époque des Gaulois. On a sélectionné les souches génétiques pour optimiser le rendement de la panification. Et donc, plus de gluten, moins de travail et de temps pour faire lever la pâte… En quelques décennies la culture industrialisée du blé a donné une uniformisation des espèces avec des teneurs exponentielles en ces protéines précisément. Non, ce n’était pas une vaste machination pour détruire nos intestins, mais oui, on a réduit la variété du Vivant pour servir des intérêts financiers (Vous trouvez cela scandaleux ? Respirez un bon coup, c’est arrivé dans à peu près tous les domaines).
D’autre part, les Occidentaux ont modifié leurs habitudes alimentaires. Globalement, on cuisine moins, on mange beaucoup moins de produits frais et bruts, beaucoup plus souvent à l’extérieur et des produits transformés. Pizza, sandwiches, burgers, biscuits apéro, viennoiseries, et bien sûr les sacro-saints pâtes et pain des étudiants sans le sou : on se gave de blé du biberon à la maison de retraite ! Alors l’un dans l’autre, ça commence à faire une quantité de cette colle dans les tubes digestifs !
Le gluten qui rend malade.
Alors des gens ont commencé à être malades. Quand ? On n’en sait rien. Car les symptômes ne sont pas évidents à interpréter pour qui ne sait pas quoi chercher.
La maladie, la vraie, celle qu’on a aujourd’hui identifiée et définie, c’est la maladie cœliaque. Le diagnostic est sans appel : une prise de sang et une biopsie de l’intestin permettent de le mettre en évidence. Si cette maladie est aujourd’hui probablement très sous-diagnostiquée, elle ne concerne malgré tout qu’une minorité de ces personnes qui boudent les boulangeries (en l’occurrence pour les malades cœliaques c’est à prendre au pied de la lettre, ils ne doivent absolument pas être en contact avec ces protéines). Cette maladie précisément donne des tableaux cliniques divers – digestifs et non-digestifs – les gènes et l’environnement sont impliqués et les malades passent souvent des années en errance de diagnostic.
Il existe aussi une petite proportion de personnes qui sont allergiques au blé. Comme on peut être allergique aux fraises ou aux cacahuètes. Donc, ça aussi, les médecins savent l’interpréter, et le plus souvent ça touche les jeunes enfants puis ça disparaît. Toujours pas de quoi transformer la face d’une pizzeria napolitaine…
J’en viens donc à la situation la plus commune (et la plus complexe et nuancée !) :
l’hypersensibilité non-cœliaque au gluten.
Vous connaissez tous une personne, qui a essayé de manger sans gluten pendant 3 semaines ou un mois, qui s’est trouvé miraculeusement soulagée de tous ses maux (ballonnements, diarrhées, troubles du sommeil, de la mémoire, migraines…). Et puis en cas d’écart, les problèmes reviennent. Donc c’est bien le gluten qui est à l’origine des douleurs. Et pourtant, les tests de la maladie cœliaque sont négatifs… Et en fait, ça, ça concerne plein de gens.
Alors comment cela s’explique-t-il ?
Etre soulagé quand on mange sans gluten pourrait provenir tout simplement du fait qu’on prend conscience un beau jour de ce qu’on ingurgite. Qu’on supprime les plats industriels, qu’on commence à poser des questions sur la composition des plats et qu’on cuisine en regardant les derniers blogs à la mode. Mais pas forcément, car après une quinzaine d’années d’explosion de cette tendance, il est aujourd’hui fort possible de se nourrir aussi mal qu’un autre, mais sans gluten, grâce à tous les nouveaux biscuits sans gluten, bourrés de farines et d’amidons raffinés à l’extrême, que nous offre la grande distribution.
Une piste à creuser, alors, c’est la perméabilité intestinale. Les cellules de la muqueuse intestinale sont serrées les unes contre les autres pour garantir ce qu’on appelle « perméabilité ». C’est à dire que les nutriments, les toxiques et les bactéries qui circulent dans le tube digestif doivent y rester, et que ces cellules décident de ce qui peut passer de l’autre côté, dans la circulation sanguine. Quand tout va bien. Car sous l’influence d’un microbiote intestinal déséquilibré par exemple, ces cellules peuvent rester trop écartées, laissant passer n’importe qui sans contrôle, c’est ce qu’on appelle hyperperméabilité, ou « leaky gut » (intestin qui fuit). Et là, c’est la porte ouverte, au sens propre, à un tas de substances non autorisées dans le flux sanguin. Des peptides peuvent se mettre à circuler, et à influencer des cellules à distance, un peu partout, d’une manière qui n’est pas du tout prévue au programme de notre organisme ! Entre autres, le gluten (comme certaines formes de caséines dont je devrai reparler à une autre occasion) peut se lier sur les récepteurs cérébraux, provoquant cette sensation d’être « englué » : difficultés à se concentrer, brouillard cérébral… Ces peptides circulants « toxiques » pourraient être le détonateur lorsqu’on est prédisposé à des maladies auto-immunes ou dégénératives comme la polyarthrite rhumatoïde ou la maladie d’Alzheimer.
Alors si vous mangez sans gluten vous supprimez ces symptômes. C’est une bonne chose. Mais avez-vous réglé le problème pour autant ? Probablement pas. Car si on peut lire que le gluten est responsable de l’hyperperméabilité, ce n’est pas certain. Donc si hyperperméabilité il y avait, elle est toujours là… La prise en charge sérieuse de ce problème nécessite l’avis d’un professionnel. On peut utiliser des compléments alimentaires pour « réparer » les jonctions serrées. Mais comme le déclencheur est probablement plutôt à rechercher du côté de l’écosystème bactérien, c’est lui qu’il faudra prendre en charge, à long terme. Et tout particulièrement, il se trouve que l’un des micro-organismes qui se développe très facilement dans un écosystème perturbé pourrait bien être impliqué dans notre façon de répondre au gluten… Le candida albicans ! Il y a une similarité de structure très importante entre la gliadine et le mycélium du candida. De quoi provoquer des réactions croisées, amplifier les dommages de l’un et de l’autre.
Sans gluten pour tous ?
Il serait bien tentant, une fois assimilées toutes ces infos, de trancher brutalement pour l’option « glutenfree » universelle. Mais je ne crois pas que ce soit justifié. Le blé (en particulier, mais la question du gluten concerne aussi d’autres céréales) est un aliment de base chez les peuples européens depuis 10000 ans. Le gluten n’est pas toxique ! La bonne attitude à avoir, selon moi, est plutôt de questionner notre dépendance aux produits très raffinés, responsable de notre « hyperconsommation ». Soutenir avec notre porte-monnaie un paysan boulanger qui tente de sauver des variétés anciennes de blés peut être une façon de manger moins de gluten, plus de fibres, de nutriments, et d’avoir un impact social et environnemental positifs.
De la même manière, dans l’alimentation des enfants, la question se pose et les recommandations ont bien souvent changé. Ce qui semble important c’est surtout de veiller à un développement optimal des fonctions digestives et de l’immunité en favorisant l’installation d’un bon microbiote intestinal (tout un programme !) Mais bien, sûr, on raisonne au cas par cas.
Voilà pourquoi tout ceci est si difficile à appréhender. Comme souvent, il ne s’agit pas d’un système simple, mais d’un enchevêtrement de fonctions : la digestion, l’immunité, les neurotransmetteurs, l’épigénétique. Tous les maillons d’une bonne santé qui ont tous à voir avec les bactéries intestinales Pas étonnant qu’on y perde son latin, et que les humains modernes : stressées, mal nourris, sur-médiqués et pourtant souffrants, tentent parfois cette approche pour voir si ça irait mieux. Essayer de manger sans gluten lorsqu’on souffre de symptômes ou de syndromes non identifiés peut apporter beaucoup.
Et pour le patient en question ce ne sera sûrement que le début de recherches et de tâtonnements pour une meilleure santé. Ce sera peut-être décevant, agaçant ou trop frustrant.. Mais ces gens qui essayent une méthode somme toute justifiée pour prendre en main leur santé, là où les professionnels de santé n’ont souvent pas été capable de les aider, méritent un œil bienveillant et un accompagnement plutôt que des soupirs face à leurs « manies de bobo ».
Le podcast :
Titulaire d’un DE de masseur-kinésithérapeute de l’IFMK Strasbourg depuis 2007, Elsa JOUENNE est passionnée par de nombreuses techniques en lien avec la parentalité :
– Haptonomie
– Yoga prénatal
– Méthode Bonapace de préparation à l’accouchement
– Méthode De Gasquet pour l’accouchement, la rééducation périnéale et abdominale
– Maternage, portage en écharpe, allaitement maternel
– Motricité libre
– Pédagogie Montessori
– Langue des signes pour bébé, diversification menée par l’enfant.En 2018/2019 elle ajoute à ses nombreuses formations un DU micronutrition de la faculté de pharmacie de Strasbourg
Elle enseigne au sein de kiné-formations la Formation nutrition nourrissons et la formation autour des 1.000 jours avec Guenaëlle Abéguilé et plusieurs E-learning.